Route 66 : une icône historique
Au dix-neuvième siècle, aucune route ne traverse encore les États-Unis de part en part. Il y a certes quelques pistes, tracées par les Indiens ou les pionniers, mais il est alors pratiquement impossible de relier les deux côtes du pays. Entre les attaques d'Indiens, les bandits, les conditions météorologiques extrêmes, il faut parfois plus d'une année pour traverser le pays et nombre d'Américains préfèrent alors contourner toute la péninsule en bateau, passant par le Cap Horn, pour éviter cette éprouvante traversée des terres.
L'apogée du chemin de fer
Ce sera d'abord le chemin de fer qui reliera le pays. En 1869 est inaugurée la première liaison ferrée transcontinentale. Les gens, mais aussi les biens, voyagent. Au début du vingtième siècle, le rail connait son apogée, parcourant 300'000 kilomètres sur le sol des États-Unis. Il faut alors deux jours et trois nuits pour rejoindre Los Angeles au départ de Chicago.
La voiture se démocratise
A la même période, Henry Ford crée la voiture qui fera sa gloire, la Ford T, commercialisée en 1908 et destinée à se vendre à plus de 15 millions d'exemplaires tout autour de la planète.
Ford démocratise la voiture et ouvre la voie au transport individuel de masse. Mais il manque alors un véritable réseau routier. Les rares axes existants finissent en cul de sac à la lisière des déserts ou des hautes montagnes. Dans le désert de Mojave, c'est en suivant les poteaux électriques que s'orientent les automobilistes.
Le président Wilson jette, en 1916, les bases d'une véritable politique nationale des transports. Le Federal Highway Act dresse les premières lignes d'un réseau inter-état. Il inclut la création de la première route transcontinentale de la planète qui traversera huit états et désenclavera la très prospère Chicago.
Le chantier colossal est confié à un entrepreneur de Tulsa en Oklahoma, Cyrus Avery qui, en sa qualité de président de l'Associated Highways Association of America, n'hésite pas à détourner le tracé transcontinental pour le faire passer par son Oklahoma natal... qui ne se situe en réalité pas sur le tracé direct entre Chicago et Los Angeles !
Le projet de ce qui deviendra la Route 66 est avalisé en 1925 et la route nait officiellement en 1926. Pour limiter les coûteux chantiers de génie civil, elle suit essentiellement l'itinéraire déjà tracé du chemin de fer.
Route 60, 62 puis 66
Lorsque l'Interstate Highway System commence à élaborer la première grille de numérotation des routes en 1926, elle la compose d'un ordre croissant d'ouest en est et du sud au nord, les routes impaires suivant un axe nord-sud et les routes paires est-ouest.
Ainsi, la Route 66 aurait-elle dû s'appeler « Route 60 »... mais le nom était déjà pris par une route traversant les États du Kentucky et de Virginie. On hésita un moment avec « Route 62 » mais Cyrus Avery se décida finalement pour « 66 » qui sonnait bien, avec son double « 6 ».
Des chemins de terre au bitume
A ses débuts, la 66 n'est pavée que sur le tiers de son tracé total, principalement au nord-est du pays. Entre le Texas et la Californie, seuls 100 km sont alors construits « en dur » et certains segments deviennent tristement légendaires, comme le « Jericho Gap » au Texas qui se transforme en toboggan de boue lorsque les averses déferlent.
La Grande Dépression de 1929 freine la progression du chantier tandis que des milliers de travailleurs pauvres s'y engouffrent dans l'espoir d'une vie meilleure à l'ouest – personne n'en parle mieux que Steinbeck dans « Les Raisins de la colère ».
Il faudra attendre 1938 pour que la 66 soit entièrement recouverte de bitume ou de macadam. Soit plus de douze ans de travaux ! Certains hameaux et plus grandes villes qui se sont développées jusque là autour du chemin de fer, sont reliées pour la première fois à un réseau routier. Leur essor économique sera fulgurant.
Les années d'après-guerre
Après la Seconde Guerre Mondiale, les Américains découvrent les loisirs, les vacances, le pouvoir d'achat. La croissance explose, les entreprises tournent à plein régime, le taux de natalité atteint des records, la génération des « Baby boomers » est encore en culotte courte et va durablement modifier le visage de la 66... pour laquelle la « Grande Aventure » commence alors.
La nouvelle Route 66 déroule ses désormais confortables 2448 miles (presque 4000 km) des Grands Lacs au nord-est du pays, léchant la frontière canadienne, jusqu'à l'Océan Pacifique sur la côte ouest des États-Unis.
Celle qui se fait surnommer « Main Street of USA », la « Rue Principale des États-Unis », prend le temps de traverser le centre de chacune des centaines de localités qu'elle croise sur son itinéraire, suscitant un formidable engouement économique sur son passage. Jamais les États-Unis ne connaîtront autant de stations à essence et de compagnies pétrolières. Motels, Diners, Drive-in, attractions touristiques poussent comme des champignons sur les bords de la route.
Le voyage, qui était jusque là une nécessité contraignante, devient ludique avec l'apparition des premiers congés payés. La route fait désormais partie des vacances elles-mêmes, succession d'attractions touristiques parmi les plus populaires d'Amérique ; le Grand Canyon en tête mais aussi le trou gigantesque de météorite de Metor City, le « Painted Destert », ou « Désert Peint » dans les environs de Grand Canyon, les Meramec Caverns...
Certaines villes qui n'existaient pas ou n'étaient encore que des hameaux deviennent d'importantes agglomérations au passage de la 66. C'est notamment le cas d'Amarillo au Texas, d'Albuquerque au Nouveau-Mexique ou de Flagstaff et Kingman en Arizona.
Première route goudronnée traversant un continent de part en part, la Route 66 restera durant soixante ans l'unique route transcontinentale d'Amérique, la voie qui ouvrira les portes de l'Ouest avec ses rêves, ses espoirs et ses désillusions.